La religion dans la chanson
Il a fallu que je tombe sur le livret du CD de Kenza Farah où l’on peut lire, sur la page des crédits, « merci à Allah », pour que se déclenche la réflexion suivante.
C’est par la mode du R’n’B que le sentiment religieux est revenu dans la chanson française. En effet, de Ophélie Winter (« Dieu m’a donné la foi ») à Kenza Farah, ce style musical est prompt à remercier Dieu (ou Allah selon sa religion) dans ses crédits, un peu à l’américaine (de Elvis à Michael Jackson, en passant par Lenny Kravitz et Bruce Springsteen). Et pourquoi pas, il n’y a rien de mal dans cette dévotion.
Pourtant, ne pas croire en Dieu rendait apparemment plus intelligent dans la longue tradition athéïste (et aussi insultante) de la chanson française : de Brassens (Je ne crois pas un mot de toutes ces histoires [...] Mais j'envie les pauvres d'esprit pouvant y croire..., « Le sceptique ») à Miossec (on dira merde au bon Dieu et surtout à Jean-Paul II, « Regarde un peu la France »), la sentence est radicale et sans appel. Pendant la période de l’après-guerre, où la poésie investit les tripots dans un élan de vie libérateur, les anarchistes occupent le terrain de la chanson intellectualisante, rive gauche à Paris. Brassens fait ses armes, Ferré aussi, Gainsbourg va arriver avec sa classe désinvolte. Il y a le célèbre « Ni Dieu ni maître » de Ferré. Chez Brassens, Dieu est malmené, la religion aussi par extension, la lutte contre la connerie désignée est engagée. Religieux, flics… toute incarnation d’une autorité quelconque, soupçonnée d’entraver le libre arbitre de tout un chacun, est rejetée dans le même sac de la connerie humaine. Cette intolérance au nom de la raison ou de l’intelligence a quelque chose de douteux, et j’espère pour Miossec que son succès soudain n’a pas été un cadeau empoisonné de Dieu, auquel cas celui-ci ne manquerait pas de rappeler au chanteur breton lors du jugement dernier que la vengeance est un plat qui se mange froid.
Brel pariait sur la force de l’humanisme : tu es mieux que dieu, tu es un homme, dans « La quête ».
Ensuite, il y a les provocateurs nés, qui s’amusent avec le sujet brûlant pour en faire un détournement surréaliste, exercice de style expurgé de toute volonté moralisatrice : « Dieu est juif », de Gainsbourg, lequel récidive avec « Dieu est un fumeur de havanes », quand Johnny, surfant comme à son habitude sur l’air du temps, chante que « Jésus-Christ est un hippie » en 1970. Balavoine nous gratifiait d’un « Dieu que c’est beau » en 1984, cinq ans après avoir décrété dans « Dancing samedi » que Dieu est intelligent.
Il y a encore la prose naturaliste, dans laquelle Jean-Louis Aubert excelle, mais que l’on rencontre aussi dans le dernier album du groupe Luke : Amenez-moi à terre, Là où l'amour est merveilleux / Amenez-moi à terre, Là où je brûle de mille feux / Amenez-moi à terre, Là où je m'en crèverai les yeux / A l'abri de l'enfer, A l'abri du bon Dieu, dans « La terre ferme ».
En tout cas, au vu de tous ces éléments, une question se pose : que serait la chanson française sans Dieu ?