La mafia et la maintenance de talent.
Définition du mot mafia dans le dictionnaire : Groupe occulte de personnes qui se soutiennent dans leurs intérêts par toutes sortes de moyens.
Il y a donc bien une vraie mafia à la tête de la chanson française, sinon comment expliquer cette impression permanente qu’il n’y a que deux chanteurs dans l’hexagone : Johnny Hallyday et Patrick Bruel (Le Parrain 1 et 2 pour les intimes). Bon, on a même droit à la marraine Zazie, parité oblige. Depuis plus de 20 ans, il n’y en a que pour ceux-là. Ils sont partout, tous les jours. Bruel et son regard qui fait peur (on a l’impression qu’il se demande à chaque instant s’il va se faire démasquer après 20 ans d’imposture), sa démagogie sans limites, est de toutes les connivences, de toutes les « belles âmes party », de toutes les messes noires du prime-time. Tant de générosité bling-bling, de simplicité marketing, tant de sourires carnassiers, tant de convictions obligées de la société du spectacle ont fini d’achever la foi en une prétendue démocratie autoproclamée républicaine. Non, je ne mélange pas tout, car tout est lié. La société du spectacle est l'un des rouages déterminant de la société tout court.
Il n’y aurait que deux personnes (ou trois, voire quatre) de talent dans ce pays, si l'on en croit le grand cirque médiatique du samedi soir où des millions de téléspectateurs sont conviés mécaniquement, par la force obscure des choses ? Mais où sommes-nous ? Et ces types-là vendent des wagons de disques nous rétorque-t-on, il serait donc légitime qu’ils soient invités partout puisqu’ils plaisent au "public". Cruel mensonge, car tout le monde sait bien que les gens mangent ce qu’on leur donne à manger, et pareil pour la musique : on leur fait croire chaque week-end que le plat du jour s’appelle au choix Bruel ou Johnny (les jours de grands arrivages), goûtez comme c’est bon. Les gens, dans leur souci permanent de se sentir « normal » et dans l'air du temps (très important l'air du temps), suivent donc les bons conseils éclairés de Drucker, notre plus grand (et unique) directeur artistique et mainteneur de talent. En effet, les découvreurs de talent n’existent plus, ils ont été remplacés par les mainteneurs de talent que sont les grands médias.
Parallèlement, on avait les détenteurs de la vérité (Michel Onfray, Bernard-Henri Levy), du bon goût (Les Inrockuptibles) et maintenant on a les détenteurs de talent (qui sont surtout les détenteurs de gros comptes en banque grâce à la maintenance de leur talent).
Logiquement donc, nous avons aussi les mêmes détenteurs de talent depuis très longtemps puisqu’ils ont été découverts, ça c’est acquis, c’est fait. Ensuite, il s'agit pour eux de préserver farouchement leur talent; et heureusement, leurs copains des médias sont là pour ça.
Les "grands médias" (ceux qui sont sérieux puisqu'ils ont l'air sérieux, comme disait Jean-Edern Hallier) ont donc inventé un nouveau métier : la maintenance de talent (on sort les chiffres de vente, c’est infaillible, ça calme tout le monde, et ça évite de se taper l’écoute des disques, de faire son boulot, puisque ces prestigieux artistes le font pour vous). En tout cas, le travail (c’est à dire la maintenance de talent pour ceux qui ont du mal à suivre, attention c'est de la philo là), c’est vraiment la santé. Dur métier, regardez Drucker comme il est usé et pressé de quitter le milieu. La maintenance de talent, c'est pas donné à tout le monde.
Note : Le talent de Johnny n'est pas remis en cause ici, bien évidemment, même si on pourra toujours lui reprocher de s'entourer systématiquement des plus gros vendeurs de disques de l'année écoulée pour lui écrire un nouvel album, sans aucun discernement artistique. Il restera un performer d'exception. J'évoque dans le texte l'opportunisme sans limite qui régit les règles du show-bizness, de l'événementiel organisé qui supplante tout le reste, au point d'occulter le principal : la musique. Et pourtant, j'aime beaucoup la chanson "Que restera-t-il ?", la plus grande depuis très longtemps enregistrée par Johnny.